lundi 18 juillet 2011

Trans…humances (Nouveau texte...)

Accompagner les troupeaux vers les hauts alpages, à pied et à leur rythme.
Quitter la civilisation bruyante, pour le monde du silence et des saveurs de la nature.
Grimper à travers les collines rondes pour atteindre le pied des plus hauts sommets.
Humer l’air pur, les senteurs de foin, de bouses, de crottins, de crin et de laine.
Ecouter, avec une joie toute neuve les jappements des chiens, les bêlements des brebis, les tintements des sonnailles…
Toucher la laine rêche des moutons,
Croquer, avec gourmandise les baies sauvages, juteuses et suaves,
Reconnaître un buis, un genévrier tout en marchant.
Et vers le soir, sentir l’odeur de la terre encore chaude et de l’herbe déjà humide se faufiler dans les narines.
Apprécier le souffle caressant du vent dans les cheveux…
Enfin, s’allonger sur l’herbe grasse et moelleuse,
Se reposer et se plonger dans les étoiles, tout en écoutant les chants des bergers.
Savoir qu’on a le privilège d’être au bout du monde, proche d’une vie ancestrale,
Et le savourer pleinement en s’endormant repue d’un bonheur simple.

MC
Juillet 2011

mercredi 6 juillet 2011

Aboutissement de notre défi d'écriture

Voici les textes que nous avons recueillis suite à notre "défi d'écriture" lancé avec la collaboration des journaux : la République et l’Éclair.
Ce défi consistait à "Écrire la transhumance" dans le cadre d'un projet plus global que nous allons mener au fil des mois pour écrire notre patrimoine Béarnais et Pyrénéen.
A cet instant nous avons 33 textes écrits par 23 personnes, mais n’hésitez pas à apporter votre témoignage, d’autant que nous allons organiser un stage « carnet de transhumance » les 7, 8 et 9 juillet en Vallée d’Ossau, (renseignements au 06 09 43 23 85) qui permettra par lui-même d’alimenter ce blog de quelques autres textes.
La présentation de ce blog va être un peu sommaire, mais nous privilégions la rapidité dans la présentation des textes à l'esthétique.N'hésitez pas à aller de page en page, puisque, malheureusement, nous ne pouvions pas mettre tous les textes sur la première. Vous allez voir il y a des perles jusqu'au dernier texte !
Nous serons heureux d'avoir vos commentaires.
D'ici là, bonne lecture !

Pour ceux qui nous découvrent vous aurez un panorama de nos actions sur notre blog : atelierdecriturepau.blogspot.com
Christian Garrabos

Acrostiche TRANSHUMANCE

Tout le troupeau, pour le grand départ est enfin
Rassemblé. Les vaches sont prêtes sur le chemin
A faire les premiers pas qui mènent vers les hauteurs
Nourricières. Les bêtes pleines d'ardeurs
Se déplacent sur des kilomètres puis font une
Halte. A leurs pieds, l'eau cristalline opportune,
Une ombre bienvenue et une touffe d'herbe
Méritée. Puis on repart vers les monts superbes
Attendus et fantasiés par les mammifères
Nonchalents. Les mufles respirent alors les airs
Chargés d'oxygène devant un grand tapis vert
Eclatant. Enfin, l'herbage leur est offert!

Grégor Huet

Suivre l’herbe

Le printemps est déjà bien engagé. Les hommes de la terre ont retourné la végétation hivernale pour faire place aux semences. L’herbe a disparu enfouie sous l’épaisseur du soc. Le fourrage d’hiver a été ruminé et digéré par le bétail. Si l’herbe existe en plaine n’occupant que quelques parcelles, c’est pour remplacer le fourrage ; L’horloge des saisons ne s’arrête jamais.
Mais où est donc passé l’herbe nourricière ?
Les bêtes le savent bien, bientôt elles sentiront l’appel de l’estive avec ses grands espaces et son air pur des montagnes. Coïncidence ou analogie religieuse, il va falloir monter vers la terre promise, trouver l’herbe en ce jour de l’Ascension. Le miracle va s’accomplir de nouveau.
La vie continue sur les hauteurs vertes de nos Pyrénées, l’herbe y est bonne : ni trop grasse, ni trop sèche. Le fromage sera la promesse du meilleur des bêtes et du savoir-faire ancestral du berger.

Didier Filipowiak Lourdios-Ichère, le 04 juin 2011

mardi 5 juillet 2011

A Borce, autrefois…

La montée des troupeaux aux estives avait lieu le jour de la Saint-Jean, premier jour de l’été et la descente à la Saint-Michel (fête patronale de Borce et de Bedous) au tout début de l’automne. Le jour de la Saint-Jean, mon père amenait les vaches au pâtre communal à Belonce et, le lendemain, commençait à faucher les foins, ne posant la faux qu’à la Saint-Michel.
Les bêtes, équipées la veille de grosses sonnailles « métaous et esquiros de route » avaient compris que le jour de l’estive était enfin arrivé. Toute la nuit meuglement et bêlements retentissaient et, au lever du jour, les troupeaux se hâtaient vers les estives. Les bêtes se hâtaient et n’avaient besoin de personne pour les guider. Elles montaient vers les « couyalas » où les bergers les accompagneraient plus de trois mois, dormant dans des cabanes primitives de vingt mètres carrés encombrées par trois pasteurs, chiens labrits et pastous, trois chaudrons à fromages et une douzaine de cruches à lait. Devant la porte sommeillaient les ânes et grognaient six porcs engraissés au petit lait.
Montée bruyante dans le tintamarre des cloches, les cris des bergers et les aboiements. La famille accompagnait le berger et montait sur trois ânes le paquetage pour l’été. Cruches et chaudrons à fromages, matelas et couvertures, sac de 50 kg de sel dont les bêtes étaient friandes, vêtements du berger et premières provisions dont un demi-jambon, des patates et une cruche pleine de vin. Les ânes pliaient sous des charges de 100 kg, suivis de deux cochons et du berger parapluie bleu en bandoulière et qui redressait la tête en passant dans les villages.
Après une montée harassante de dix heures, bêtes et gens arrivaient à la vesprée dans la cabane commune à trois bergers. On installait les paquetages, on faisait un grand feu pour le premier souper de fête pendant que le berger trayait les brebis pour le premier fromage d’estive. On faisait enfin le repas du soir de l’estive, préparé par les femmes qui serrées sur le bas flanc à côté des hommes passeraient la nuit à l’estive.
On se bâfrait, on buvait une partie de la nuit et l’on chantait bien entendu, « Ma près per fantesio, aouan dem ha Pastou. Ben hey la grand houlo cuan pringou y lou bastou ».
Et l’étoile du Saint, veillait sur bêtes et gens.

Jean-François Bayé-Pouey, Oloron

Un berger…


Le bâton à la main, planté dans le sol comme un tuteur pour retenir ses mains croisées et appuyées à son sommet. S’il n’avait pas de bâton, Jean le berger que ferait-il de ses mains, ses mains de travailleur, fortes et noueuses ?
Certainement ne s’en servirait-il pas pour parler avec car, quand il est berger, il ne parle pas beaucoup, ni de la bouche, ni des yeux qu’il a cachés sous le revers de son béret.
En fait, Jean le berger s’exprime principalement sous forme d’onomatopées et de sifflements. Un tèè-tèè à l’attention de son chien ou un claquement de langue pour telle brebis qui s’éloigne du troupeau. Et tout va comme il veut.
Quel besoin aurait-il de parler lui qui vit dans le murmure du vent, qui cligne des yeux avec les étoiles, qui a appris à rouler les R en méditant avec le torrent ?

Pierre Laffitte

Histoire des transhumants en 250 mots

Acrostiche de "Nos transhumances millénaires"

NOVEMPOPULANIS, VASCONIE, noms de baptême du peuple originel Pyrénéen,(1)
Oublié de l’Histoire, son sang écrira VERDUN cauchemar lorrain(2).
Son identité, ses mœurs, JULES CESAR, les déclina en latin(3).


Troupeaux d’antiques bovins, ovins et autres caprins, (4)
Rushs des chiens inépuisables, ânes bâtés, suivis des équins(5).
Ancêtres BASQUES, BEARNAIS et CADETS GASCONS sont tous cousins
Nomades; NOS FORS organisaient et dirigeaient cette migration(6)
Sur NOS TRALHES des Pyrénées à la Gironde(7).
HENRI signa « laisser passer » aux chevriers béarnais, par tradition(8)
Un sceau, pour ces laitiers d’un autre monde(9).
Même chose pour les bouviers Béarnais, vieux routiers(10) !
Avec eux s’exportent nos lainages et le béret(11)
Notre couvre-chef devint ainsi la coiffe française.
C’est après tant de services, que les bovins BEARNAIS,
Ecussons vivants depuis GASTON FEBUS et même monnaie(12),
S’approchèrent de l’extinction « merci politique agricole française » (13).



Mais les VASCONS transhument toujours sur leurs mêmes routes(14),
Irréprochable mode de déplacement, véritable Grenelle de l’Environnement.
Les PUMPAK, KÜSKÜLAK, TRÙCS, TRÙCOUS : orchestres du mouvement(15).
L’administration a le bourdon, trop d’animaux sur « ses » routes (16)!
Econome, bio, sera le fromage d’IRATY à l’OSSAU(17)
Nos troupeaux brouteront sans OGM, tout là-haut,
AQUERROS MOUNTANOS ! chanté par un fils de berger à l’ASSEMBLEE(18),
Impeccable moyen d’exprimer sans violence et d’être écouté.
Rêve BASCOBEARNAIS, que nos descendants puissent en route
Entendre les sonnailles réveiller nos villages et en cheminant
Sentir encore mille ans les effluves des troupeaux transhumants(19).



Régis Ousset
Authentique Berger Transhumant
BAS NAVARRAIS



Notes explicatives :

(1) Lire les ouvrages des historiens DENDALETCHE, BARANDIARAN, RUHLEN, MORVAN,….
(2) Lire tous les ouvrages sur Verdun. Les origines ethniques des régiments coloniaux (zouaves et tirailleurs) roulent les « r » des Pyrénées gasconnes. Les basques et les Béarnais sont commandés par des caporaux charnègres (bilingues basques béarnais) mais lors du conflit, par des caporaux bilingues français basques ou français gascons. La Grande Muette (l’armée française) maintiendra cette pratique avec les Basques jusqu’en 39/45. Les Hussards de la République que furent les instituteurs finiront par inculquer le rêve de Jules Ferry à grand renfort de punition. Que les calandrètes et les ikastolas continuent leur extension…
(3) Ils ne sont ni celtes ni ibères. Ils ont un fond de culture propre, une même langue et adorent leurs divinités. Ils sont très belliqueux entre eux. La Guerre des Gaules, Jules César.
(4) La race bovine béarnaise descendante directe de bos bos aquitanus, l’auroch aquitain. Les manechs et les basco béarnaises ont gardé le profil des moutons primitifs avec leur laine longue et grossière. Qualifiées de grandes marcheuses dans les ouvrages agricoles. Une chanson en béarnais reprend dans son refrain « à chaque pas, une bouchée ».
(5) Le labri, en voie de disparition, une des plus vieilles races canines européennes. Plus « cabourut » que ses maîtres et doté d’une intelligence hors du commun, il fut même utilisé comme messager dans les tranchées de 14/18. On lui reproche son caractère impétueux et ses coups de dents, mais il fallait un sacré caractère pour faire bouger tout ce monde sur d’aussi grandes distances ! Une prairie clôturée ou une cour n’est pas assez grande pour lui. Le pottok et le navarrin (aujourd’hui disparu) possédaient les mêmes traits que les chevaux des peintures rupestres des grottes préhistoriques. Sous Bonaparte, ils furent jugés trop primitifs (pas de sang oriental). L’âne fut introduit par les romains dans nos contrés.
(6)
• Nomades : ce passé peut expliquer les garnisons de mousquetaires montées du Sud-Ouest ainsi que la diaspora vers les Amériques de ces trois ethnies : transhumance aller-retour pour certains, aller simple pour beaucoup. Basques et Béarnais ont fait la pampa sud-américaine, pour preuve : le béret du gaucho, seul cavalier éleveur des pays neufs à guider ses troupeaux (ovins ou bovins) avec des chiens comme dans nos contrées. Les chevaux sont menés en tenant le « guide » par le licol comme chez nous, et sont dressés au poteau comme ils l’étaient à l’anneau de nos cours de fermes, et la selle des gauchos n’a aucune origine espagnole : c’est un bât muni d’étriers et recouvert de plusieurs peaux de moutons (anciens cirés de nos montagnes). Quelques rares vieux gauchos parlent encore béarnais ou basque en buvant du vin à la gourde. Ma foi, on se croirait au Pays même en Patagonie !
• Fors : droits coutumiers et civiques pyrénéens écrits en latin à l’époque de l’occupation romaine. Les premières dynasties navarraises étaient couronnées en prêtant serment sur ces textes. En l’an 1000, les vicomtes de Béarn les plagièrent et renforcèrent les fors béarnais (lire l’historique des fors béarnais). Nous pouvions y lire : les pâturages et les forêts sont en indivision, femmes et hommes sont libres (pas de serfs dans les Pyrénées). Une femme a les mêmes droits qu’un homme : droit d’aînesse égal (se rappeler du costume de l’héritière ossaloise). En 1789, les droits du citoyen mysogine aboliront tous nos droits. Les fors n’existent plus de nos jours qu’en Navarre (état foral), où se trouve le plus vieux traité international européen manuscrit : la Junte de Roncal, les sans-culottes de la Révolution s’étant torchés avec les anciens écrits de l’hexagone au nom de la liberté d’expression du peuple dans le besoin.


(7) Trailhes : routes des transhumances de Gironde en béarnais.
(8) Nouste Henric pour les intimes, Henri III de Navarre qui devint Henri IV pour les Français.
(9) Il signa en 1590 les autorisations de libre circulation qui firent des chevriers béarnais, avant l’avènement du lait pasteurisé, les laitiers des grandes villes. Ils transhumaient jusque dans les cités minières de Belgique. Le dernier arrêta et se retira dans son village natal de Bedous en 1970. La chèvre pyrénéenne est en voie de disparition car jugée trop peu laitière. Drôle de remerciement après tant de vies d’enfants sauvés.
(10) Les bouviers, transporteurs de l’époque (voir les lithographies des pochettes de disques du festival de Siros et du musée béarnais), avaient obtenu sous le règne de Gaston Fébus, grâce à lui, de ne plus payer les péages dans les villes traversées du piémont pyrénéen par les routes commerciales (cami salié), du Béarn au Comté de Foix. Il fut clair qu’avec Henri IV roi de France, ils ne paieraient plus nulle part. C’est pourquoi aussi les bœufs béarnais étaient des bœufs de roulage, et que la sélection de la race Béarnaise en avait fait les attelages les plus rapides sur route.
(11) Le béret fut inventé par les bergers ossalois du Moyen-âge, et Napoléon III le baptisa « bonnet ou foulard basque », lors de ses séjours biarrots.
(12) En plus de l’écusson béarnais (où les vaches figurent avec une cloche de transhumance), une monnaie était frappée à l’effigie du bovin au Moyen-âge.
(13) Un Arrêté ministériel de 1961 commande la fusion de trois races, dont la Béarnaise, pour créer la Blonde d’Aquitaine. Un nouvel Arrêté ministériel de 1970 devient Loi et interdit la monte publique en race Béarnaise. Le nom de Béarnaise est plus justifié que celui de Blonde des Pyrénées car après l’épidémie de fièvre aphteuse dans les années 1700, cette race repartit des derniers survivants de la vallée de Barétous.
(14) Vascons : une tribu des Novempopulani qui occupait le 64 et le Sud 40. Le point commun des belles voix des chanteurs basques et béarnais ?
(15) Nom bas-navarrais, souletin, gascon et béarnais du bourdon, cloche de transhumance de brebis à la forme et au son si particuliers. Les joaldunak s’en servent parfaitement bien à chaque carnaval et dans chaque manifestation culturelle basque. Ils sont un des orchestres de l’identité musicale basque.
(16) Déclaration individuelle des mouvements des animaux obligatoire depuis 2005, auprès de l’Administration, mais aussi demandes d’autorisation par les mairies (exemple marques d’Urepel, d’Ahuski, Larruns…).
(17) Un des derniers exemples de valorisation d’un lait produit sur place sans achat extérieur d’aliment. Des plantes telles que la réglisse et le serpolet, sans grand intérêt agronomique selon les normes en vigueur, « parfument notre fromage d’altitude et garantissent sa renommée.
(18)
• Aquerros mountanos écrit par Gaston Fébus pour sa fiancée navarraise en 1360. Cela finira par un mariage entre Béarn et Navarre.
• Assemblée Nationale : ses statuts sont écrits par les fiancés de la Révolution après 1789, ils accoucheront de la Terreur.
(19) L’Etat-Providence français, après avoir payé la prime d’abattage du nuisible ours, vidé nos vallées de ses habitants, et qui paye aujourd’hui 112.000 € chaque ours réintroduit, puisse t’il en verser autant pour chaque homme ou femme qu’il réinstallera dans nos montagnes ? Ou alors, les ours chasseront les derniers transhumants de nos montagnes.







Moralité du berger (Régis Ousset) :

Dans ce monde, le plus riche est celui qui partage ses richesses, et non celui qui pille les richesses de ce monde.


Moralité du poète (Régis Ousset) :

La parole départage l’Homme de l’Animal
L’écriture le scinde de l’intelligence animale
Humour et rire apaisent son instinct animal
Garder en friche son bel esprit, est animal
Ouvre-le à la culture, adieu l’animal !

Cadences nocturnes d'un retour à la montagne

Phares, gyrophares et loupiottes s’agitent dans l’obscurité striée par une pluie vigoureuse. Le troupeau se répand sur la route luisante. Les brebis marchent obstinément, comme mues par une conviction, comme si elles étaient appelées. Mais l’avancée reste lente. Il faut s’y plier, il faut adopter leur rythme. Juste dissuader celles qui tentent une halte dans l’herbe désirable des talus. Coincées dans le flot compact de laine mouillée, les chèvres s’impatientent. L’âne reste placide, si possible en léger retrait de ce bas peuple.
Les gens s’avertissent : « Voiture ! » Il faut faire serrer les bêtes. C’est pour cela que c’est la nuit. C’est pour cela qu’on est dix-sept.
Dans les villages, les chèvres jaillissent soudainement de la masse et se ruent sur les jardinières. Elles grimpent éperdument les unes sur les autres pour atteindre les rosiers grimpants. Les volets s’ouvrent. Les propriétaires floraux rouspètent. Les autres s’émerveillent encore... Quelle émotion ancestrale la transhumance remue-t-elle en nous ? Peut-être une empreinte de notre évolution humaine liée aux bêtes, peut-être un appel d’espaces et de renouveau…
La marche continue dans une bulle de chaleur animale odorante sous la pluie glacée. Au fil des heures, nous glissons dans un état hypnotique, bercés par la lenteur de la progression et par les harmonies des sonnailles que le berger s’offre et offre au monde pour de modestes et magistraux festivals quotidiens. En même temps, les percussions rythmées des cloches nous portent, comme portent les tambours. Pour traverser la nuit et la vallée jusqu’aux pâtures du printemps…


Elisabeth JOANTAUZY - Oloron-Sainte-Marie

La transhumance, par le jeune berger

Je suis un jeune berger qui a quitté la ville et ses tracas pour une vie en pleine nature avec ses animaux. Ce matin, je suis fébrile à l'idée de partir seul pour la transhumance de mi-juin à fin septembre avec mes 200 brebis et mon âne Martin qui porte mes affaires. Tout est prêt, les voisins et les amis vont m'accompagner tout au long des 30 km dans la vallée d'Ossau. Les chiens vont surveiller le troupeau et nous ferons deux haltes de repos pour déguster les provisions. Le jour se lève, le ciel est bleu et les premières pentes apparaissent. Après de longues heures de marche, voici la fin de l’après-midi, et l'arrivée là-haut !!! L'herbe est abondante, cela promet du bon lait et de succulents fromages. Il va falloir tout installer à la cabane. L'hélicoptère a tout livré depuis la veille. Déjà, je profite de la caresse du vent et du bruit des torrents. Je viens d'apercevoir deux isards qui montent la garde sur les rochers. Le troupeau est à l'enclos. Les chiens sont déjà au travail. Martin broute l'herbe tendre. Après un casse-croute convivial, tous mes amis vont redescendre au village en 4/4 et moi je vais entamer mon séjour en harmonie avec la nature comme l'ont fait les bergers depuis la nuit des temps.

Pierre LOURAU. LONS

L’arrivée dans les estives

Depuis le lever du jour, les bêtes cheminent de village en village faisant sonner leurs clarines comme un appel joyeux… Un au revoir peut-être.
Là, dans la montée, sur le côté droit de la route s’étend le plateau du Benou. Les vaches accélèrent la marche, une excitation les gagne, palpable chez les « meneuses », celles qui marchent en tête. On dirait une course. Qui va entrer la première dans les estives ?
Le chien redouble de vigilance, il encercle au plus serré le troupeau. Sur un ordre bref de son maitre, dans un langage connu d’eux seuls, il entraîne les vaches dans un mouvement semi-circulaire.
Le troupeau quitte alors la route, entre dans l’herbage. Aussitôt, il se défait. Tête haute, naseaux ouverts, frémissantes les bêtes explorent le terrain. Avec détermination elles vont viennent repèrent cet espace inconnu, le parcourant dans tous les sens, humant l’air pur de la montagne, l’atmosphère de liberté. Les jeunes s’autorisent quelques courses désordonnées, quelques ruades dans le vide. On entend parfois un long meuglement. De plaisir ? Toujours dans la fébrilité, continuent ces parcours individuels dans tous les sens pour connaître, apprécier, s’approprier l’espace.
Demi-heure plus tard, les vaches baissent enfin la tête, gourmandes de cette herbe nouvelle, fraîche abondante. Le calme revenu, le troupeau se reconstitue… Pas de temps à perdre !


Josette Lansalot-Matras

Souvenirs

Il commence à faire chaud dehors. Je vois mon berger gesticuler, s’énerver, aller de gauche à droite. Ça doit être le moment tant attendu : la transhumance.
Beaucoup de monde s’agite, nous partons enfin. Les bords de route sont magnifiques, jonchés de fleurs odorantes et d’arbustes épineux, un vrai plaisir gustatif.
Ah ! On avance à grands pas. Apparemment pas assez vite, le berger s’énerve encore. Tout le monde a l’air heureux, les cloches tintent fort. Mon berger est fier devant, il marche avec son fils à côté de lui. Nous commençons à gravir le flanc de la montagne, l'herbe est meilleure, plus grasse. Je vois la bergerie au loin, rien n'a changé. Ça me rappelle quand j'étais petit, j'avais un an à ma première transhumance. Je suivais ma mère : la plus belle expérience de ma vie. Maintenant, j’en ai cinq et c'est moi qui mène le troupeau.
Ah ! Nous sommes arrivés ! Le berger et ses amis nous parquent.
La saison peut commencer.
Edy Caza

Itinéraire

D’où venez-vous ?
Où allez-vous ?
Vous posez-vous seulement la question ?

C’est votre première transhumance,
Alors le troupeau vous rassure,
Vos congénères sont à vos côtés.

C’est votre deuxième transhumance,
Alors vous y allez parce que vous savez,
Vous avez gardé la mémoire de la précédente
Et vous reconnaissez les lieux à d’impalpables détails.

Vous mettez simplement vos pas
Dans les pas de ceux qui sont passés avant vous,
Ou vous mettez vos pas dans vos propres pas,
Ceux qui vous ont conduits l’an dernier.

La route est tracée du bas ou du haut Ossau,
Le rituel est en place.
Après le marquage sur le plateau du Bénou,
C’est la lente montée vers les estives
De Bious Artigues ou du Pourtalet.


Marie Despyres - Nay

Arrivée à Lourdios-Ichère

La nuit s'est écourtée. Je me réveille avec bonheur pensant à la journée qui m'attend.

Je pars avec Cathy et Christian pour Lourdios-Ichère et sa journée de transhumance.

Le temps annoncé maussade et mouillé, pour le moment est sage. Une légère bruine au-dessus des montagnes béarnaises et un pâle soleil qui cherche à poindre. La température est douce.

Les sinueux virages montagneux nous ont bien conduit à travers une verdoyante végétation jusqu'au lieu de notre réunion.

Le Lourdios, rivière pyrénéenne, qui nous accompagne le long du trajet final, est bordé de voitures stationnées sur la route. Les pêcheurs, bien équipés, ont décidé de venir taquiner la truite argentée au dos tacheté de points rouges. Ils espèrent rentrer ce soir triomphants.

Le village, encastré entre les parois de la montagne, s'allonge et nous trouvons ici aussi les voitures des curieux et amateurs friands d'animations authentiques autour d'activités montagnardes.

Les troupeaux de brebis, marqués de couleur rouge ou bleu, arrivent progressivement et prennent docilement place au cœur du village, à l'endroit qui leur est réservé, proche du ruisseau et des stands de produits fermiers locaux proposés au public qui déambule.

Un café bien chaud avant de démarrer la journée nous met dans l'ambiance.

Un des organisateurs prend son micro pour annoncer les différentes possibilités qui nous sont offertes tout au long de la journée et donne des informations sur la localisation des différentes activités alimentaires présentées, préparées localement et issues de l'exploitation de ces merveilleux pâturages que nous avons aperçus tout au long du trajet. Leur superficie locale nous est également indiquée.

Les odeurs et frémissements de la ventrèche grillée emplissent notre atmosphère alors que nous sommes paisiblement assis à la table en bois, mouillée par l'humidité de la nuit, pour initier l'atelier d'écriture du jour, orchestré par Christian. Contrairement à l'habitude, l'ambiance est plutôt bruyante …



DRAGONFLY – Juin 2011 -

Une touffe de laine

En arrivant à l’estive, mes yeux tombent sur une touffe de laine de brebis agrippée à un tapis vert un peu épineux.

Je me penche et ramasse cette touffe comme un trésor. Alors remonte à ma mémoire un épisode d’une marche longue et pénible où j’avais dû encourager Mathilde qui souffrait d’ampoules écorchées aux deux pieds.

Le soir, à l’étape, après la douche, Mathilde clopina jusqu’au dortoir et se laissa tomber sur son lit découragée à l’idée que le lendemain il faudrait repartir. John qui passait par là vit l’état lamentable de ses pieds écorchés profondément.

• Je vais te soigner, dit-il. Attends une seconde.

Il alla chercher une petite trousse contenant des ciseaux, du sparadrap et un plastic transparent renfermant de la laine de mouton. Il en sortir quelques effilochures qu’il arrangea en un petit tampon, le tâtant pour bien en répartir l’épaisseur et s’assurer surtout qu’il ne contenait aucune fibre un peu plus rugueuse qui pourrait être blessante.

Il installa trois pansements sur les trois plaies, les amarrant solidement à l’aide du sparadrap, tout en expliquant à Mathilde :

• Tu vas sentir un soulagement. Surtout ne les enlève pas. La lanoline contenue dans la laine va accélérer la cicatrisation de tes plaies.

Tandis qu’il lui parlait, je remarquai qu’il lui caressait doucement les chevilles en remontant légèrement vers les genoux. Je m’esquivai. Il se passait quelque chose qui allait bien au-delà du soin.

Mathilde se reposa un moment. Lorsqu’elle me rejoignit au bar, les pieds bardés de pansements, son regard brillait d’un éclat que je ne connaissais pas et dont il brille encore aujourd’hui quand elle est contre John.

Lorsque dans un pré je trouve une petite touffe de laine de brebis ou de mouton, ces merveilleux instants s’emparent de ma mémoire. Alors je ne peux m’empêcher de ramasser cette laine et de la prendre au creux de ma main comme un talisman dont j’attends peut-être encore quelque chose.


Franz Gebrig Bordères

Transhumance

Roulant au pas dans la montée du col quelques conducteurs s’impatientent ! Mais que ce passe-t-il ? Pourquoi cet encombrement sur cette route de montagne habituellement si tranquille ?
Devant la file de voitures on aperçois une masse compacte de laine brune, ondulante comme une vague, portée par des centaines de petites pattes peu habituées au bitume. Elle avance doucement en envahissant toute la largeur de la route.
C’est donc ça la transhumance ! Cette montée traditionnelle de bêtes vers les estives au printemps ! Et voici que les appareils photos sortent des sacs pour immortaliser l’événement.
Des femmes set des hommes aidés des chiens les accompagnent jusqu’aux grands pâturages d’altitude. Ils ne redescendront qu’en septembre.
Ces bergers, chemises ouvertes, manches retroussées sur des avant bras vigoureux, tannés par le soleil, le béret solidement vissé sur la tête, marchent près du troupeau en le guidant de la pointe du bâton. Les chiens suivent, attentifs au moindre écart des bêtes, et à tout moment prêts à obéir à un ordre donné.
Les femmes coiffées de chapeaux de paille gèrent au mieux la circulation afin d’éviter si possible les grognements de quelque conducteur peu complaisant.
La vague de laine se déplace soudain sur le côté de la route et, non sans avoir déposé, comme le faisait le petit poucet, le souvenir de son passage, disparait rapidement dans un chemin caillouteux qui l’absorbe complètement.
Sans ralentir le rythme les bêtes stressées, se bousculent un peu, trébuchent quelques fois, chacun cherchant son passage.
De temps en temps, une babine gourmande vient cueillir une touffe d’herbe sur le rebord du talus et se fait rappeler à l’ordre. La vague de laine a pris une forme allongée épousant le sentier. Les béliers portent haut leur tête aux cornes enroulées dominant d’une manière supérieure les brebis aux lourdes mamelles et les jeunes encore inexpérimentés qui font le voyage pour la première fois.
Après le passage dans la fraîcheur bienfaisante de la forêt, le chemin se fait plus étroit et longe le ruisseau avant de venir mourir dans l’immense vallon herbeux annonçant le bout du voyage.
Le toit de la cabane apparait, lovée dans un repli de terrain. Tout n’est plus que prairie à peine entaillé d’une sente ravinée empruntée par les randonneurs.
Là, enfin, les bêtes s’éparpillent déjà à leur gré, emplissant l’espace du tintement de leurs clochettes amplifié par l’écho.
Un dernier ressaut et la cabane est là, toute de pierres bâtie, cossue, rassurante, adossées à la pente, sous son toit de dalles grises la couvrant presque jusqu’au sol encore envahi par les herbes et les orties. La lourde porte est ouverte face aux sommets découpés sur le ciel.
Les premiers sont déjà là et les bidons de lait suspendus contre le mur sèchent au soleil. L’hiver n’a pas laissé de trace de ses rigueurs, tout est intact. Le ruisseau, grossi par la fonte des neiges, saute sur les galets avec des éclats d’argent. Précieux ruisseau, il fournira l’eau nécessaire aux bêtes et aux hommes.
La montée a été rude, en arrivant on s’éponge le front, on échange de solides poignées de main on pose les sacs et les bâtons pendant que les animaux prennent possession de leur domaine. Les chiens langue pendante, trouvent le repas à l’ombre du mur.
L’air est si bon, si frais sur ces hauteurs, on en oublierait presque les morsures du soleil dardant ses rayons au milieu du jour.
« Ce soir, il pourrait y avoir de l’orage ! » disent les hommes en scrutant le ciel avec une certaine habitude.
Tout en devisant, on s’installe face à face sur les bancs, autour de la table de bois brut. Les femmes ont porté et chauffé la garbure. Chacun tend son assiette. La louche en plongeant dans la garbure délivrera les bienfaits culinaires traditionnels de la vallée. La bonne odeur du chou et de la viande cuite se répond et tous mangent en silence. Après, on dévissera la gourde pour boite à la régalade en la passant de main en main.
En partageant le pain et le jambon, les conversations s’orientent vers les besognes des bergers. Ils resteront de longs mois ici, isolés du monde !
La surveillance des troupeaux, les soins prodigués aux plus fragiles, la traite pour recueillir le lait enrichi du fort parfum des herbages d’été, la confection des fromages qui seront descendus à dos de mulet dans les caves d’affinage et l’entretien du logis et du matériel sans l’aide des femmes. Elles ne monteront que pour l’approvisionnement.
Telle sera leur vie, ils le savent, mais cette vie là ils l’aiment, ils la vivent au rythme du temps, bon ou mauvais, en, symbiose avec les animaux.
La journée finissant à l’heure où les ombres s’allongent, le troupeau se resserre autour de la bergerie. Peu à peu, le soleil disparait derrière les sommets en incendiant les crêtes, plongeant les prairies dans une obscurité précoce sous un ciel encore irradié où s’allument déjà quelques étoiles.
Doucement, la paix du soir descend dans le cœur des hommes fatigués. Dans le silence, à peine couvert par le murmure du ruisseau, comme un hymne à la beauté des lieux où l’on peut entendre la douce musique d’un harmonica.


Jocelyne Gardelle - Pau

Au son des sonnailles de Nay

Aïe, aïe, aïe ! ce mot de sonnailles me tenaille, il tourne dans ma tête comme un manège emballé que l’on ne pourrait plus arrêter.
Alors je décide d’évacuer tous les « ailles » qui assaillent mon esprit.



Au son des sonnailles de Nay
C’est la fête des têtes de bétail
Qui ont reçu en médaille
Cette glorieuse sonnaille
Et ce n’est pas une paille.

Au son des sonnailles de Nay
Pour éviter toute pagaille
Les meneuses guident leurs ouailles
Par les chemins en tenailles
Et le long des abruptes murailles.

Au son des sonnailles de Nay
Pour jeunes bergers et bergères
Ce sont peut-être des retrouvailles
Et s’ils ont l’heur de se plaire
Ils célébreront leurs accordailles
En attendant le temps des épousailles.

Au son des sonnailles de Nay
Pléthore de cochonnailles
Et débauche de tripailles
L’on accommodera en victuailles
Pour les joyeux larrons en ripaille.

Au son des sonnailles de Nay
Après le temps des semailles
Viendra peut-être …
Celui des relevailles.



Françoise Devillers
Juillet 2010

Le chant des sonnailles

Les sonnailles, c’est le temps qui chante en marchant, au rythme du pas tranquille des animaux. La marche d‘un temps débonnaire, qui loin d’être haletant prend tout son temps. Le temps de monter sans lassitude, ni hâte vers le plus haut.

Les sonnailles, c’est un ton, une musique, un accord sonnant et dissonant, identique, mais jamais semblable. Un accord sonnant vif et clair, presque strident associé aux plus jeunes, aux plus fous, un timbre plus profond, plus rythmé pour les sages et les expérimentés.

Les sonnailles c’est la vie dans le brouillard, un concert dans la montagne, un clair de lune sur les sommets, un son de l’été et les vacances.

Les sonnailles, c’est le cœur, le tambour d’un voyage, la musique paisible qui accompagne le souffle du troupeau face à l’éternité des cycles.


Jean Lagarde

Chantons la transhumance

« La transhumance » sur l'air de chanson de « La montagne » de Jean Ferrat ,
texte de La Maison de l'Humanité.

Ils reviennent un à un au pays
Pour vivre pleinement leur vie
Sur la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
Des hautes vallées et des prés
De la neige et de ses secrets
La ville ça n'était plus original
Avec tout son bruit infernal
Ses drôles d'odeurs et sa ferraille
Ils savaient tous que le boulot
Avec la conso et l'métro
Allaient les mettre sur la paille

Bien sûr que la montagne est belle
Comment peut-on l'oublier
En voyant un vol d'hirondelle
Que vient le temps de migrer

Avec leurs bâtons de pèlerins
Ils avaient gravi les chemins
Jusqu'au sommet de la colline
Qu'importe les jours les années
Ils étaient tous bien décidés
Enracinés comme la vigne
Les vignes entretenues comme la forêt
Le vin sera bientôt tiré
Ce sera là une belle fête
Qui mélange les générations
Des plus anciennes à nos rej'tons
Tous ensemble chantant à tue-tête

Bien sûr que la montagne est belle
Comment peut-on l'oublier
En voyant un vol d'hirondelle
Que vient le temps de migrer

Deux chèvres et puis quelques moutons
Une année bonne et à foison
Sans pollution et sans bruit
Les familles aiment se réunir
Et lancent des éclats de rire
Qui indiquent où il fait bon vivre
La vie elle est joyeuse et bien fournie
De quoi attendre sans sans s'en faire
Que l'heure de l'apéro sonne
Il faut savoir ce que l'on aime
Le chalet ou bien l' H.L.M
Pour nous pas de doute pour cet automne

Bien sûr que la montagne est belle
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelle
Que l'automne vient d'arriver

Destins

« Les hommes sont bien naïfs ! Sous prétexte qu’ils ne nous comprennent pas, ils croient que nous ne pensons pas. Jobards ! Même les mouches pensent. Nous manquons de vos mots, non d’esprit. Dans le troupeau on use d’une espèce d’espéranto animal. »
- « Oh, pardon, je ne me suis pas présentée. Moi on m’appelle « Sauta la brosta ». Ça signifie « Saute buissons ». Je suis une brebis de presque 1 an. Je suis née sur le plateau de Soussouéou, c’est pourquoi je porte un surnom béarnais.
Nous sommes 80 têtes noires transportées par 320 pattes, noires elles aussi, plus « Sieur Picot », un vieil âne encore vaillant et mes deux amis les chiens « Le Rouge » et « Leïla » la noire. Sur ce maigre et paisible troupeau règne l’ancien, le doux, le bon, le rêveur, le taiseux, le presque beau, « Jean le moutonnier » C’est ainsi qu’on l’appelle chez nous, dans la plaine des Landes. Il est vieux Jean et a les manières d’avant la guerre, la guerre des tranchées contre Guillaume. Les façons d’avant les rails de chemin de fer, d’avant les canaux creusés pour assécher les marais, avant les enclos de pins, ces pépinières d’arbres qui nous barrent le chemin.
« Que de détours inutiles ! »
Nous retournons au Soussouéou, un plateau plein d’herbes tendres et d’eau fraîche, certainement le plus beau site pastoral des Pyrénées.
Jean marche derrière d’un pas régulier, lent et rythmé par le claquement de ses sabots de pauvre. Vingt d’entre nous lui appartiennent en propre dont la vieille brebis de tête, celle qui porte la grosse sonnaille. Elle connait la route celle-là depuis qu’elle fait le chemin ! Moi aussi j’ai une petite truquette cette année, et comme je suis la préférée de Jean, que je n’ai pas encore de petit, je peux gambader à ses côtés avec les agneaux de l’année.
Pauvre Jean. Jean le pauvre ! Il va de son allure de vieil homme, d’ailleurs il ne va pas plus vite en plaine, dans nos landes perché sur des échasses. Dès que le sol est solide, il les attache au bat du bourricot, l’âne regimbe un peu. Cette fois, je l’ai entendu protester :
- « Tu crois que les provisions ne sont pas assez lourdes ? » et comme il est brave l’animal, il repart avec une tape amicale sur la croupe. L’homme et l’âne sont de vieux compagnons.
- « Tiens, on s’arrête à nouveau. Et pan ! Mon museau dans l’arrière-train de Pétronille. Ça sent pas bon ! Eh ! Le Rouge, le Rouge qu’est-ce qui nous arrête encore ? Le Rouge… Le Rou...ouge. Oh ! Jean l’a appelé. Il a intérêt à travailler les renseignements. Attendons. »
Leïla et le Rouge sont mère et fils, issus d’une longue lignée de chiens de troupeau. Ils n’ont pas leur pareil pour faire fuir les chiens errants. Un jour ils ont même flairé loup, mais celui-ci était déjà loin avant qu’ils ne suivent sa piste. Un loup tout seul c’est timide, de plus c’est devenu rare ces bêtes-là !
- « Ah ! Le Rouge te voila. Pourquoi est-on arrêtés ?
- C’est Jean, il a repéré plus avant son copain André qui mène son troupeau vers les gorges de Bitet ! C’est des pyrénéens avec des cornes. Vous mélangez pas ! Faudrait vous démêler et je suis fatigué moi ! On marche depuis l’midi et le soleil est presque descendu derrière les montagnes. J’aimerais me reposer !
- Et nous aussi bien sûr. S’ils discutent un peu, nous stationnerons ici. C’est pentu, mais il y a de l’herbe, des sortes de bruyère, de l’ombre et de l’eau suinte des rochers. C’est une bonne place.
- Pardi ! T’as qu’as aller le dire à Jean et puis l’eau, c’est normal, on est presque aux sources de l’Auronce.
- Bien ! J’y vais. Il m’aî-aî-aîme tant qu’il m’écoutera, s’il daigne me comprendre.
Et elle se précipite, légère, sautant les obstacles, fidèle à son surnom.
- Bê-ê-ê-erger, Bê-ê-ê-erger,
Elle sautille, volète presque autour de Jean qui sans s’arrêter la repousse.
- Petite ! Oh ! Démon ! Reste avec tes sœurs et sors du chemin et de mes jambes, tu vas me faire trébucher !
- Jean, mon Bê-ê-ê-erger, écoute-moi !
- Petite peste, rejoins le troupeau. Nous nous arrêtons ici pour cette journée !
Un léger coup de bâton l’écarte fermement. Il ne fait pas bon désobéir à Jean. Un peu rassurée la follette rejoint les autres. D’ailleurs, Leïla fondait sur elle de ses quatre pattes et aboyant de toute sa voix.
Jean presse le pas. Il avait hâte de retrouver André, de partager le vin de l’amitié. Il n’est pas dans son caractère d’appeler son ami de si loin, puis le tintamarre des sonnailles couvrirait sa voix. Dans ce presque défilé c’était un vrai concert de casseroles. Parvenu à quelques mètres il siffla entre ses dents. André sursauta, se retourna et attendit son ami les bras grands ouverts, un large sourire fendant sa figure ronde.
- Jean ! Quel bonheur de te voir !
Et il étreignit son ami.
Le moutonnier était certainement aussi heureux que son confrère, mais un peu gêné de tant d’effusions. André, jovial, bavard, curieux, était de caractère et d’apparence très différents de son ami des Landes, autant le vieux berger était réservé et silencieux, autant André était avide de bavardages.
Les chiens s’occupant des bêtes, les deux pasteurs se donnaient des nouvelles, assis sur un rocher plat en buvant un peu de vin. André faisait aller sa langue, tout à la joie de discourir.
La vie de berger solitaire ne lui convenait pas vraiment. Avant lui son père était moutonnier, André avait hérité de quelques bêtes et il n’avait ni l’ambition, ni le courage d’apprendre un autre métier. Il rapportait à sa femme juste de quoi survivre. Il avait quatre enfants qu’il voyait grandir par à-coup, absent qu’il était sept mois par an. Il était le premier pasteur à quitter l’estive, tant il avait hâte de retrouver ses amis, sa maisonnée. Il n’était pas le meilleur berger, mais il se débrouillait tout seul. Il fallait pourtant du savoir pour s’occuper des bêtes : savoir les maladies ; les herbes pour les soigner ; aider les agneaux à naître ; connaître les bons coins ; se guider au soleil, aux étoiles et puis filer, tricoter, faire du fromage. Tout compte fait, il n’était pas si mauvais berger que cela, André, c’était un berger contrarié !
Jean, silencieux, attendait que son ami en ait fini avec sa péroraison, lorsque, assoiffé de tant de paroles il allait boire un peu. Vint le moment où il put lui annoncer :
- C’est ma dernière estive, André, cet automne, je vends mes bêtes et je m’installe dans la cabane à côté du bercail !
André en resta muet.
- Je suis trop vieux pour vaguer. On me confie moins de bêtes. Je sens les douleurs au terme de chaque journée. Il faut me résigner. De surcroît, les voies de chemin de fer, les enclos, les maisons me détournent du chemin le plus court. Une semaine m’a été nécessaire pour contourner les obstacles et j’ai perdu 3 bêtes noyées dans un canal d’assèchement. Alors, j’arrête. Je pose le bâton, les échasses et je chausse les sabots paysans.
La tristesse d’André faisait peine à voir. Un jean qui parlait aussi longtemps mettait le jeune berger à l’envers.
Il était silencieux.
Sieur Picat, en broutant alentour, n’avait rien perdu de la conversation. Il se promettait bien de tout répéter aux chiens le plus vite possible. Il braillait de tout son souffle :
- Leïla, le Rouge. Jean veut nous vendre tous et se retirer. Malheur, malheur !
La nouvelle se répandit vite dans le troupeau, la consternation aussi. Sauta la Brosta en tomba à genoux.
- Jean, ne nous quitte pas. Je t’aî-aî-aîme, moi !
Puis un éclair traversa ce qui lui tenait lieu d’esprit.
- Mais, nous allons finir gigots !


Dominique

« SUIVRE L'HERBE »

Tiens, l'humidité de la nuit a révélé une odeur particulière : facile à détecter, c'est celle de l'herbe fraîchement coupée. J'aime cette légèreté qui accompagne le début du jour, encore à inventer.

C'est aujourd'hui que les troupeaux partent du village vers les estives. Ils vont y rester quelques deux mois à paître et ruminer cette belle herbe vert clair et plus foncée par endroit.

Regroupés par famille, ils suivent le berger et son inséparable chien, fidèle compagnon et gardien des bêtes. La longue ascension vers les sommets se fait en bon ordre dessinant une blanche traînée sur les montagnes colorées. Le contraste est plaisant. Difficile d'y rester insensible !
Les carillons qui accompagnent le piétinement des animaux donnent une joyeuse gaieté à l'ensemble. Les badauds sont venus les encourager.

Quel chemin suivent-ils donc ? Celui de l'herbe nourricière. Sans cesse renouvelée, elle nous nourrit directement ou indirectement tous. Grâce à elle se fabriquerons de délicieux fromages et la viande parfumée des équidés, bovins et ovins, fera une viande de première qualité.

L'herbe, douce et tendre est aussi un lieu propice aux pique-niques et autres jeux de plein air. A elle seule, elle offre, à tout le monde, les délices d'une vie paisible et saine. Loin des routes encombrées et bruyantes, elle nous remet au cœur de la nature et nous rapproche de l'essence de la vie. Le calme qu'elle génère ressource !




DRAGONFLY – Juin 2011 -

La douce heure du veau

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Incarnant ça et là la civilisation
Absente. Où des troupeaux une fois l'an se serrent,
Tous dans un même enclos avant leur migration.

Un jeune veau, l'œil léger, et le crin touffu,
Ses pattes découvrant le pré miraculeux,
Court ; il est au milieu du pâturage dru,
Gras dans ce palis vert entouré d'autres bœufs.

Parmi les autres bêtes, il court. Chancelant comme
Le ferait tout petit. Et le soleil l'assomme :
Ô Printemps, rafraichis doucement son émoi.

L'été ne verra pas s'allonger son échine ;
Il court dans les ronciers, sans sentir les épines,
Joyeux. Il sera tué avant la fin du mois.

Florence Bouche - Barinque

Les transhumants

Les transhumants


Bovins, ovins, chevaux,
Je vous regarde défiler
Vous qui passez sans me voir.
Je vous regarde aller
Vous qui soufflez dans le soir.

Bovins, ovins, chevaux,
Je hume l’odeur de vos suées
Vous qui avez tant marché
De Laruns à Eaux Chaudes.
Un effort encore avant l’étape,
A Gabas bientôt vous vous reposerez
Vous dînerez et vos pis seront vidés

Bovins, ovins, chevaux,
Nobles dames bovines
Votre pas est mesuré
Et votre encolure balancée.

Pour vous les chevaux,
C’est indiscipline et fantaisie.
Dans la malice de vos prunelles
L’envie de musarder étincelle.

A pas menus,
Parfois claudicants,
Tout en vous coudoyant
Damoiselles ovines
Sages et coquines
Vous avez le piétinement dru.

Bovins, ovins, chevaux,
Je vous regarde défiler
Vous qui passez sans me voir.
Je vous regarde aller
Vous qui soufflez dans le soir.


Marie Despyres - Nay

En vallée d’Ossau


L’automne annonce la fermeture des cabanes de berger et l’abandon des estives pyrénéennes. Joseph effectue un dernier tour de sa cabane de cap de Pount qu’il ferme soigneusement à clé, sauf la partie refuge laissée accessible au randonneur. Ses moutons ont déjà rejoint le pied du barrage de Bious-Artigue, lieu de rassemblement des troupeaux. Plus de quatre cent têtes aux marques distinctes et multicolores attendent sous la surveillance rapprochée des labrits impatients de mener leurs bêtes une dernière fois. Les bergers repèrent les « meneuses » qui auront le privilège de porter la sonnaille. Les accompagnateurs, béret vissé sur la tête, bâton en main et chasuble fluo sur le dos prennent les dernières consignes. Les chiens aboient, les appels et les sifflets des bergers mettent en branle l’imposant rassemblement, le son des cloches (et du gave) nous accompagnera toute la nuit en vallée d’Ossau. Il est 5 heures du matin, la caravane traverse Laruns endormie (à part le boulanger qui nous régale de ses petits pains tout chauds). Les bêtes broutent les bacs à fleurs sous l’œil amusé des riverains accoudés à la fenêtre pour partager cet événement ancestral. Le jour se lève quand les transhumants arrivent au plateau du Benou. Les bêtes de Joseph sont arrivées à destination, d’autres monteront dans un camion pour rejoindre leur bergerie du Nord Béarn ou des Landes. Déjà, cette riche parenthèse patrimoniale se ferme, la vallée d’Ossau est alors rendue à la circulation automobile.

Didier Filipowiak

Cimes de verdure

Nous marchons vers les cimes de verdure
Où nous attendent les estives.
La journée sera longue, elle sera dure
Mais elle restera festive.

Les brebis avec leur apparat de fête
Forment des cheptels verts et bleus
Qui montent vers la grande ligne de faîte
Chercher l'herbage des cieux.

Les vaches elles, paradent à en faire pâlir
Les mammifères les mieux cornus.
Elles ont des cornes en forme de Lyre
Surprenantes et biscornues.

La famille et les amis du berger,
Derrière, surveillent la troupe.
Ils donnent aux bêtes qui viennent gamberger
Un petit coup sur la croupe.

Le berger siffle et les chiens aboient.
Ici, nul besoin de verbiage.
Lorsqu'une bête s'écarte dans les bois
Il faut juste un autre langage.

Alors, partout s'agite une toison fauve
Par un va-et-vient incessant.
Le labrit devant la bête qui se sauve
Rend les agneaux obéissants.

Soudain, on voit la cabane pastorale
Sous un magnifique firmament.
Le berger savoure le silence oral
De ces indescriptibles moments.

Une femme laisse un bouquet d'ancolies
Au berger dont le cœur balance.
Dans leur regard un brin de mélancolie
Vient ponctuer la transhumance.

Le son bucolique des sonnailles résonne
Sur le sommet des montagnes.
Autour du berger il n'y a personne.
Juste des bêtes qui l'accompagnent.

Grégor HUET

La Fête

Ça y est les barrières se mettent en place autour de la fontaine, sur la place du village, pour canaliser le passage des troupeaux. Une buvette est montée au niveau du stade de rugby pour que les bergers, les accompagnants et les touristes se retrouvent pour partager un moment de convivialité. Les bars et restaurants se remplissent doucement. C’est la fin juin, la chaleur est douce. On sent dans les prés l’herbe fraîchement coupée. Les troupeaux sont rassemblés au plateau du Benou, tout est bien orchestré pour que dans chaque village les gens voient défiler sous leurs yeux émerveillés un ballet incessant d’animaux. Il flotte dans l’air comme un parfum d’excitation.
Je me rappelle de ma première transhumance : le cri du berger, le bruit des sabots des chevaux sur le bitume, les cloches des brebis, les vaches qui beuglent fort et l’odeur !
Cette odeur qui vous prend aux narines et vous renvoie quelques années en arrière quand vous alliez passer le dimanche à la ferme de vos grands-parents, avec toute votre famille. Et là, vous vous surprenez à esquisser un sourire au coin de la bouche. Car ce qu’il y a de plus beau dans la transhumance c’est qu'elle vous ramène à l’essentiel : votre enfance.

Edy Caza

Les cinq sens

Dans transhumance, il y a « hum », lou hum comme on dit dans notre Béarn, l'odeur, l'un des 5 sens exaltés par la migration pastorale des vaches.
• l'odorat: c'est le fumet si caractéristique des bêtes qui ont dormi ensemble la nuit précédant le départ, qui ont foulé la paille, écrasé la fougère lui faisant exhaler son parfum âcre de sous-bois. Tout au long du parcours, se répandent les effluves de la sueur des bêtes.
• la vue: comment ne pas s'émouvoir à la vue de toutes ces têtes qui se bousculent derrière la barrière du départ, avec leurs cornes en avant, plates, dressées, en lyre, descendantes, en fuseau, ... .
• l'ouïe: c'est le sens le plus sollicité. Les sonnailles, c'est la symphonie fantastique ! Ce n'est qu'au bout d'une heure de marche que le tempo est enfin harmonisé, quand chaque bête a trouvé son pas, les vieilles devant, les jeunes derrière. Dong-dong, dong-dong, ... le battant frappe au rythme du balancement des têtes, haut et clair dans la plaine, bas et assourdissant à la traversée des villages dont les murs renvoient l'écho jusque dans le cœur.
• le toucher: avec la main, c'est flatter une croupe pour encourager la bête qui peine à monter la côte, caresser le col de celle qui est en tête.
• le goût: c'est le moment privilégié des hommes, quand la cuillère plonge dans la garbure fumante et quand le couteau s'enfonce dans le fromage ... de vache !
François Rebillard - Ledeuix

Sonnailles

Sonnailles…
quelles belles sonorités dans ce mot qui tinte à différents degrés, de l’aigu au grave ! Quelles images bucoliques elles déclenchent !

Alors qu’une cloche ne dégage pas de poésie a priori et parfois même induit une certaine médiocrité. Une cloche ne se suffit pas à elle-même : il faut préciser. De la clochette agitée par l’enfant de chœur au bourdon de Notre Dame, il existe une gamme infinie de cloches. Même si elles honorent les églises et sont là pour appeler le troupeau et l’inviter à entrer ou à sortir du saint lieu.

Les cloches sont aussi des avertisseurs sonores utilisés dans les prisons, les usines, les écoles. Mises un peu à toutes les sauces, elles sont prosaïques mais structurantes. Elles n’emmènent pas au pays des rêves.

Les sonnailles, elles, nous rattachent aux temps bibliques, à ces paysages paisibles et bucoliques où les bergers faisaient tranquillement paître leurs troupeaux, surveillant leurs bêtes et contemplant le spectacle de la nature, juste rythmé par un tintement de ci, un tintement de là.

Sur les mosaïques et les fresques qui ont traversé le temps on peut voir des évocations de ces moments paisibles. En les regardant, il arrive qu’une sonnaille tinte pour nous ramener à une autre réalité.

La sonnaille, c’est l’évasion.
Pour les bêtes également, avoir les sonnailles au cou signifie partir, quitter l’étable, trouver la liberté après les efforts de la monté, la liberté de brouter une autre herbe, plus parfumée, plus variée.

Les sonnailles font battre le cœur du troupeau, comme le cœur des bergers.

On les conserve précieusement à la cuisine de la ferme. Ce sont des reliques qui témoignent du passage sur terre des précieux auxiliaires des hommes. Dans chaque troupeau, il y a des bêtes dominantes qui portent des sonnailles plus importantes : ce sont les meneuses, elles conduisent le troupeau. Pour ces bêtes-là la sonnaille est comme une médaille de baptême.

La coutume veut que l’on donne une sonnaille en cadeau de première communion : est-ce pour symboliser l’appartenance au troupeau des croyants ? Est-ce pour susciter des vocations de berger ?

Franz Gebrig Bordères

Métaphysique de transhumainces

Pourquoi les brebis se blottissent-elles les unes contre les autres ?
Ont-elles froid ? Pourtant chacune est vêtue de son petit paletot de laine !

Pourquoi ces cornes qui ne servent à rien ? Peut-être seulement à rayer malignement la rutilante carrosserie du 4x4 qui manque de leur marcher sur les pattes.

Pourquoi se tiennent-elles si serrées, à se monter les unes sur les autres, comme si la meilleure place était au milieu du troupeau sans autre horizon que les croupes précédentes, ni d’autre issue que d’avancer poussées par le museau des suivantes ? Alors que devant l’air est si pur, l’herbe est si tendre, l’horizon si étendu !

Pourquoi, les moutons font-ils comme ceux de Panurge, et continuent-ils à avancer ainsi comme des sourds et des aveugles, sans tenir compte de l’expérience des transhumances précédentes ? Y a-t-il du plaisir à cela ?

Pourquoi, lors de nos transhumances à nous, humains, faisons-nous comme ces moutons qui passent sur la route ?

Christian Garrabos

Lourdios

Martine C.

La fête bat son plein dans le village de Lourdios, nous sommes mille têtes de bétail ou plus : brebis boucs vaches chèvres juments mulets...
Nous attendons, toutes pressées les unes contre les autres.
"Ha, ce Firmin s'y prend toujours aussi mal pour m'accrocher la clochette !... Et quelle calamité, cette horrible marque de peinture bleue sur ma magnifique toison ! Moi je m'appelle Chabi, je suis de la race des Manechs, tachée de noir et blanc; je suis singulière, pas n'importe qui !
Nous démarrons aux rythmes des sonnailles des chants et des musiques folkloriques. Les bergers à l'aide des labrits nous emmènent aux estives;
Nous suivons l'herbe ; suivis des villageois, des touristes et des montagnards.
Ho ! J'étouffe emprisonnée dans ce troupeau ! Je vais tenter une percée vers l'extérieur;
Hé ! Ce n'est pas toi, le vieux badou (agressif et criard) qui va m'en empêcher ! Ce vieux labrit n'est pas bien méchant; ouf, je respire près du ravin!
Depuis le temps que je prends le même chemin chaque année, je suis capable d'arriver seule au cajolar !
La longue marche ne fait que commencer, encadrée des bergers et des chiens, dans un joyeux fond de tintements de cloches.
Arrivés là-haut, nous dormirons tous, les yeux dans les étoiles, dans le silence de la montagne. Tout l'été, nous nous repaîtrons de la belle herbe grasse, Firmin fabriquera son pur fromage de brebis (grâce à moi en partie !)
J’espère que l'ours ne reviendra pas rôder !
Toutefois j'ai confiance en nos gardiens patous et labrits!
Nous jouirons un été de plus de la liberté et du grand air, jour et nuit !..."

Transhumance à Lourdios-Ichères... L'environnement

Des bruits de sabots et grelots mêlés, des chants de triolets, des bérets écrasés sur le front, les animaux parmi la population ….....

Le grand chien blanc, patou des Pyrénées, attentif, les oreilles dressées, l'œil vif, surveille calmement son troupeau et attend, lui aussi, la bénédiction du prêtre avant la montée dans l'estive.

Le chapiteau regorge de monde qu'il accueille pour un déjeuner bien mérité après cette longue matinée de découvertes.

Le clapotis de l'eau qui court sur les galets, le soleil clignotant à travers le feuillage, quelques petits poissons furtifs entre les cailloux.

Au loin, un chanteur, accompagné de sa guitare, évoque l'amour de la mer et de ses paysages.

Les discours officiels, de l'historique au local, attirent l'attention de la foule qui s'imbibe.

Le traditionnel émerge à nouveau et la ressource naturelle reprend sa première place.
L'antan et l'aujourd'hui se retrouvent. Il n'y a pas de rupture.

Les odeurs fortes des animaux nous environnent.

Le hennissement des chevaux proches ponctue les conversations d'un groupe de jeunes.

Le rythme des promeneurs s'accorde à un jour paisible, de détente.
La vie semble simple et insouciante.

DRAGONFLY – Juin 2011 -

Epigramme

Une guirlande de brebis qui monte du piémont
Forme un collier coloré qui cercle le mont.
Les routes et les chemins sont des rubans de laine
Qui s'élèvent tranquillement au-dessus des plaines.

HUET Grégor.

La transhumance relookée

J’étais descendue d’Eaux Chaudes à Laruns pour suivre un troupeau de brebis en route pour Gabas.

Les meneuses caracolaient en tête se riant d’un pauvre chien débutant qui avait quelques difficultés à serrer le troupeau. Les bergers l’aidaient – ce qui aurait dû être l’inverse -. Drôle de monde où tout marche à l’envers !

Le tintement des sonnailles rythmait la marche. Les brebis avançaient à la même cadence, à part quelques-unes qui n’arrivaient pas à prendre le pas comme autrefois les appelés lors de leurs premiers défilés.

A l’arrière, une brebis ployant sous la charge de son lourd pendentif, une truc en laiton martelé, à ne pas confondre avec le truc en plumes des meneuses de revues dans les cabarets, traînait la patte. Elle se faisait « tirer par le troupeau » en quelque sorte.

A côté d’elle, une brebis un peu précieuse, trottinant menu, haut perchée sur ses stilettos de corne cirés de frais, la regardait. « Elle a l’air renfrogné, la vieille, pourtant je lui adresserais bien la parole », pensait-elle.

• Bonsoir, t’as l’air fatiguée, dit-elle, en la frôlant de l’épaule et du flanc droits.
• Oui, c’est ma dernière …
• Ta dernière quoi ?
• Ben, ma dernière transhumance… C’est quoi ton nom ?
• Ovinia !
• Ah, t’es Aragonaise, commenta la vieille, en la regardant de côté.
• Si tu veux, enfin….. je suis issue d’un couple mixte, répondit la jeunette.
• C’est ta première transhumance ?
• Oui.

Ovinia en profita pour dire qu’elle trouvait ce rite totalement obsolète.

• J’suis d’accord avec toi, acquiesça la vieille bique.
• Au fait comment t’appelles-tu ?
• Aérobique.
• Avec un nom pareil, t’as dû être sportive !
• Oui, mais c’est du passé tout ça, conclut Aérobique d’un air triste.
• Alors elles se serrèrent l’épaule et le flanc pour sceller la naissance de leur amitié.
• Obsolète, disais-tu ? relança Aérobique.
• Ben oui, quand tu penses qu’on monte là-haut, en vacances, et qu’il n’y a pas un mec pour s’amuser…
• J’suis d’accord avec toi, j’suis un peu vieille, j’suis tarie comme y disent mais quand même, ça fait pas d’mal.
• Moi, ils m’ont dessaisonnée, j’attends pour septembre.
• Tu vois, ça c’est un truc que j’comprends pas. Des agneaux de lait pour Noël, c’est débile. L’agneau c’est à Pâques. A Noël, c’est l’oie ou la dinde, commenta Aérobique avec une moue de dégoût.
• T’as raison, ils ont vite fait de te dessaisonner. Avec la contraception c’est facile.
• Ben, tu vois j’suis contente d’être vieille. J’ai jamais été dessaisonnée, moi… Et puis pour ce qui est de se marrer … à part les bergers…
• Et la barrière des espèces, qu’est-ce que t’en fais ? s’offusqua Ovinia surprise.
• Non, je blaguais, rectifia Aérobique.

Alors Ovinia fouilla dans une poche enfouie dans l’épaisseur de sa laine tout en racontant à sa copine :

• Figure toi qu’en traversant Laruns, j’ai vu une couverture de magazine qui m’a fait gamberger. Dans la cohue, j’ai arraché la page. Regarde.
• Ouah ! admira Aérobique. La classe ! … Toilettés, les mecs, par Biguine sûrement. Et habillés par Mac Douglas. Oh j’en r’viens pas. Et le berger, pas mal non plus… même le chien…
• Reste sur terre Aérobique ! Tu sais bien que les photos…
• Ah ! là tu vois j’ai un coup de blues, dit-elle avec un sanglot dans le bêlement.
• Moi , tu sais, j’en oublierais presque ma grossesse … enfin à condition qu’ils soient parfumés avec Habit rouge, précisa Ovinia qui ne passait sur aucuns détails de raffinement.
• Qu’est-ce que t’es snobe ! conclut Aérobique d’un bêlement traînant.

Puis tournant la tête vers un panneau d’affichage planté le long de la route, elle ajouta :
• Tu vois c’que j’vois Ovinia ?
• Non, quoi ?
• Ce logo « Chrono Ossau ».
• C’est quoi ? demanda Ovinia.
• C’est un nouveau truc pour mesurer nos performances et nous classer, précisa Aérobique.
• Comment font-ils ça ?
• Ben avec une puce. Y font la même chose aux cyclistes.
• C’est pas possible ! s’exclama Ovinia en écarquillant les yeux.
• Oh, j’en peux plus, je tire la patte, c’est ma sciatique due à mon onglon incarné, gémit Aérobique.
• Tu veux que je bêle un taxi ? demanda Ovinia.
• Pas tout de suite. J’aimerais mieux m’arrêter à Eaux Chaudes pour une p’tite pause.
• T’as raison ! J’ai une idée : on se cache dans le noir, on laisse s’éloigner le troupeau et on prend une chambre à la Caverne. Et adieu tout ça !
• Pourquoi pas ? T’as un cerveau toi ! admira Aérobique.
• Oui, enfin, … à condition qu’ils ne s’aperçoivent pas trop vite de notre disparition, objecta Ovinia.
• On n’a qu’à s’teindre en rousses, répliqua Aérobique.
• T’as raison, nous le valons bien !


Franz Gebrig Bordères

Bouses


Bouses, ô précieuses bouses,
Sans vous point de salut.
Des bêtes vous libérez les entrailles
Encombrées de détritus
Et de toxiques déchets.

Bouses, ô précieuses bouses,
Sans vous point de salut.
De vos enrichissants rejets
Vous fertilisez les drailles
Ainsi que les estives pentues.

Bouses, ô précieuses bouses,
Sans vous point de salut.
Le grand cycle de la nature
Par vos apports de fumure
Au fil des ans se perpétue.

Bouses, ô précieuses bouses,
Quel devenir sans vous
Qui purifiez bêtes et gens ?
Votre quotidienne présence leur assure
Une plus tardive sépulture !



Françoise Devillers - Coarraze

La Transhumance

Comme les Pèlerins qui migrent vers Saint Jacques
De longs troupeaux d’ovins estivent après Pâques.


Quand après les muguets, plus ardent, le Soleil
Lassé d’ouvrir, ailleurs, ses aurores fécondes
Vient sortir le Pays de son hiémal sommeil
Pour que s’ouvre l’azur aux légères arondes.

C’est l’heure où les bergers rassemblent leurs troupeaux
Afin de les mener vers de lointains pacages ;
Et quand le chaud suint désertera leurs peaux
Les moutons partiront sans soupirs, sans bagages.

Évitant les cités d’où fuse trop de bruit
Ils se rafraîchiront aux rus à l’onde claire,
Iront en un enclos pour y passer la nuit
Et connaîtront, demain, les conforts de leur aire.

Broutant, selon leur goût, l’œil toujours vers les monts,
Gardés par un berger… qui aboie et qui gronde
Le cheptel, à présent, respire à pleins poumons
Et retrouve, enchanté, sa mangeoire seconde :

Car l’herbe est là : plus verte et plus tendre qu’ailleurs
Et le lait, de ce fait, plus goûteux qu’en plaine
Les fromages, c’est sûr ! N’en seront que meilleurs
Et flatteront, un jour, les tables d’Aquitaine.

Mais quand, dans la forêt, roucoule le ramier,
Que s’embellit le ciel des couleurs de l’Automne :
Est venu le moment… et ce sans larmoyer
Où doit penser le Chef qu’il faut quitter la zone.

Alors… quand, des somment, descendent les ovins :
Sur leurs râbles musclés la laine est bien plus blanche
Et plus allègre, encor, guidée par les airains
La chanson que le pâtre offre aux nues bleu pervenche.

Edouard Dutilh - Autevielle

Ecrivons la transhumance

Voici les textes que nous avons recueillis suite à notre "défi d'écriture" lancé avec la collaboration des journaux : la République et l’Éclair.
A cet instant nous avons 32 textes écrits par 23 personnes, mais n’hésitez pas à apporter votre témoignage, d’autant que nous allons organiser un stage « carnet de transhumance » les 7, 8 et 9 juillet en Vallée d’Ossau, qui permettra par lui-même d’alimenter ce blog de quelques autres textes.

La présentation de ce blog va être un peu sommaire, mais nous priovilégions la rapidité dans la présentation des textes à l'esthétique.


Nous serons heureux d'avoir vos commentaires.
D'ici là, bonne lecture