mardi 5 juillet 2011

Transhumance

Roulant au pas dans la montée du col quelques conducteurs s’impatientent ! Mais que ce passe-t-il ? Pourquoi cet encombrement sur cette route de montagne habituellement si tranquille ?
Devant la file de voitures on aperçois une masse compacte de laine brune, ondulante comme une vague, portée par des centaines de petites pattes peu habituées au bitume. Elle avance doucement en envahissant toute la largeur de la route.
C’est donc ça la transhumance ! Cette montée traditionnelle de bêtes vers les estives au printemps ! Et voici que les appareils photos sortent des sacs pour immortaliser l’événement.
Des femmes set des hommes aidés des chiens les accompagnent jusqu’aux grands pâturages d’altitude. Ils ne redescendront qu’en septembre.
Ces bergers, chemises ouvertes, manches retroussées sur des avant bras vigoureux, tannés par le soleil, le béret solidement vissé sur la tête, marchent près du troupeau en le guidant de la pointe du bâton. Les chiens suivent, attentifs au moindre écart des bêtes, et à tout moment prêts à obéir à un ordre donné.
Les femmes coiffées de chapeaux de paille gèrent au mieux la circulation afin d’éviter si possible les grognements de quelque conducteur peu complaisant.
La vague de laine se déplace soudain sur le côté de la route et, non sans avoir déposé, comme le faisait le petit poucet, le souvenir de son passage, disparait rapidement dans un chemin caillouteux qui l’absorbe complètement.
Sans ralentir le rythme les bêtes stressées, se bousculent un peu, trébuchent quelques fois, chacun cherchant son passage.
De temps en temps, une babine gourmande vient cueillir une touffe d’herbe sur le rebord du talus et se fait rappeler à l’ordre. La vague de laine a pris une forme allongée épousant le sentier. Les béliers portent haut leur tête aux cornes enroulées dominant d’une manière supérieure les brebis aux lourdes mamelles et les jeunes encore inexpérimentés qui font le voyage pour la première fois.
Après le passage dans la fraîcheur bienfaisante de la forêt, le chemin se fait plus étroit et longe le ruisseau avant de venir mourir dans l’immense vallon herbeux annonçant le bout du voyage.
Le toit de la cabane apparait, lovée dans un repli de terrain. Tout n’est plus que prairie à peine entaillé d’une sente ravinée empruntée par les randonneurs.
Là, enfin, les bêtes s’éparpillent déjà à leur gré, emplissant l’espace du tintement de leurs clochettes amplifié par l’écho.
Un dernier ressaut et la cabane est là, toute de pierres bâtie, cossue, rassurante, adossées à la pente, sous son toit de dalles grises la couvrant presque jusqu’au sol encore envahi par les herbes et les orties. La lourde porte est ouverte face aux sommets découpés sur le ciel.
Les premiers sont déjà là et les bidons de lait suspendus contre le mur sèchent au soleil. L’hiver n’a pas laissé de trace de ses rigueurs, tout est intact. Le ruisseau, grossi par la fonte des neiges, saute sur les galets avec des éclats d’argent. Précieux ruisseau, il fournira l’eau nécessaire aux bêtes et aux hommes.
La montée a été rude, en arrivant on s’éponge le front, on échange de solides poignées de main on pose les sacs et les bâtons pendant que les animaux prennent possession de leur domaine. Les chiens langue pendante, trouvent le repas à l’ombre du mur.
L’air est si bon, si frais sur ces hauteurs, on en oublierait presque les morsures du soleil dardant ses rayons au milieu du jour.
« Ce soir, il pourrait y avoir de l’orage ! » disent les hommes en scrutant le ciel avec une certaine habitude.
Tout en devisant, on s’installe face à face sur les bancs, autour de la table de bois brut. Les femmes ont porté et chauffé la garbure. Chacun tend son assiette. La louche en plongeant dans la garbure délivrera les bienfaits culinaires traditionnels de la vallée. La bonne odeur du chou et de la viande cuite se répond et tous mangent en silence. Après, on dévissera la gourde pour boite à la régalade en la passant de main en main.
En partageant le pain et le jambon, les conversations s’orientent vers les besognes des bergers. Ils resteront de longs mois ici, isolés du monde !
La surveillance des troupeaux, les soins prodigués aux plus fragiles, la traite pour recueillir le lait enrichi du fort parfum des herbages d’été, la confection des fromages qui seront descendus à dos de mulet dans les caves d’affinage et l’entretien du logis et du matériel sans l’aide des femmes. Elles ne monteront que pour l’approvisionnement.
Telle sera leur vie, ils le savent, mais cette vie là ils l’aiment, ils la vivent au rythme du temps, bon ou mauvais, en, symbiose avec les animaux.
La journée finissant à l’heure où les ombres s’allongent, le troupeau se resserre autour de la bergerie. Peu à peu, le soleil disparait derrière les sommets en incendiant les crêtes, plongeant les prairies dans une obscurité précoce sous un ciel encore irradié où s’allument déjà quelques étoiles.
Doucement, la paix du soir descend dans le cœur des hommes fatigués. Dans le silence, à peine couvert par le murmure du ruisseau, comme un hymne à la beauté des lieux où l’on peut entendre la douce musique d’un harmonica.


Jocelyne Gardelle - Pau

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire