mardi 5 juillet 2011

La transhumance relookée

J’étais descendue d’Eaux Chaudes à Laruns pour suivre un troupeau de brebis en route pour Gabas.

Les meneuses caracolaient en tête se riant d’un pauvre chien débutant qui avait quelques difficultés à serrer le troupeau. Les bergers l’aidaient – ce qui aurait dû être l’inverse -. Drôle de monde où tout marche à l’envers !

Le tintement des sonnailles rythmait la marche. Les brebis avançaient à la même cadence, à part quelques-unes qui n’arrivaient pas à prendre le pas comme autrefois les appelés lors de leurs premiers défilés.

A l’arrière, une brebis ployant sous la charge de son lourd pendentif, une truc en laiton martelé, à ne pas confondre avec le truc en plumes des meneuses de revues dans les cabarets, traînait la patte. Elle se faisait « tirer par le troupeau » en quelque sorte.

A côté d’elle, une brebis un peu précieuse, trottinant menu, haut perchée sur ses stilettos de corne cirés de frais, la regardait. « Elle a l’air renfrogné, la vieille, pourtant je lui adresserais bien la parole », pensait-elle.

• Bonsoir, t’as l’air fatiguée, dit-elle, en la frôlant de l’épaule et du flanc droits.
• Oui, c’est ma dernière …
• Ta dernière quoi ?
• Ben, ma dernière transhumance… C’est quoi ton nom ?
• Ovinia !
• Ah, t’es Aragonaise, commenta la vieille, en la regardant de côté.
• Si tu veux, enfin….. je suis issue d’un couple mixte, répondit la jeunette.
• C’est ta première transhumance ?
• Oui.

Ovinia en profita pour dire qu’elle trouvait ce rite totalement obsolète.

• J’suis d’accord avec toi, acquiesça la vieille bique.
• Au fait comment t’appelles-tu ?
• Aérobique.
• Avec un nom pareil, t’as dû être sportive !
• Oui, mais c’est du passé tout ça, conclut Aérobique d’un air triste.
• Alors elles se serrèrent l’épaule et le flanc pour sceller la naissance de leur amitié.
• Obsolète, disais-tu ? relança Aérobique.
• Ben oui, quand tu penses qu’on monte là-haut, en vacances, et qu’il n’y a pas un mec pour s’amuser…
• J’suis d’accord avec toi, j’suis un peu vieille, j’suis tarie comme y disent mais quand même, ça fait pas d’mal.
• Moi, ils m’ont dessaisonnée, j’attends pour septembre.
• Tu vois, ça c’est un truc que j’comprends pas. Des agneaux de lait pour Noël, c’est débile. L’agneau c’est à Pâques. A Noël, c’est l’oie ou la dinde, commenta Aérobique avec une moue de dégoût.
• T’as raison, ils ont vite fait de te dessaisonner. Avec la contraception c’est facile.
• Ben, tu vois j’suis contente d’être vieille. J’ai jamais été dessaisonnée, moi… Et puis pour ce qui est de se marrer … à part les bergers…
• Et la barrière des espèces, qu’est-ce que t’en fais ? s’offusqua Ovinia surprise.
• Non, je blaguais, rectifia Aérobique.

Alors Ovinia fouilla dans une poche enfouie dans l’épaisseur de sa laine tout en racontant à sa copine :

• Figure toi qu’en traversant Laruns, j’ai vu une couverture de magazine qui m’a fait gamberger. Dans la cohue, j’ai arraché la page. Regarde.
• Ouah ! admira Aérobique. La classe ! … Toilettés, les mecs, par Biguine sûrement. Et habillés par Mac Douglas. Oh j’en r’viens pas. Et le berger, pas mal non plus… même le chien…
• Reste sur terre Aérobique ! Tu sais bien que les photos…
• Ah ! là tu vois j’ai un coup de blues, dit-elle avec un sanglot dans le bêlement.
• Moi , tu sais, j’en oublierais presque ma grossesse … enfin à condition qu’ils soient parfumés avec Habit rouge, précisa Ovinia qui ne passait sur aucuns détails de raffinement.
• Qu’est-ce que t’es snobe ! conclut Aérobique d’un bêlement traînant.

Puis tournant la tête vers un panneau d’affichage planté le long de la route, elle ajouta :
• Tu vois c’que j’vois Ovinia ?
• Non, quoi ?
• Ce logo « Chrono Ossau ».
• C’est quoi ? demanda Ovinia.
• C’est un nouveau truc pour mesurer nos performances et nous classer, précisa Aérobique.
• Comment font-ils ça ?
• Ben avec une puce. Y font la même chose aux cyclistes.
• C’est pas possible ! s’exclama Ovinia en écarquillant les yeux.
• Oh, j’en peux plus, je tire la patte, c’est ma sciatique due à mon onglon incarné, gémit Aérobique.
• Tu veux que je bêle un taxi ? demanda Ovinia.
• Pas tout de suite. J’aimerais mieux m’arrêter à Eaux Chaudes pour une p’tite pause.
• T’as raison ! J’ai une idée : on se cache dans le noir, on laisse s’éloigner le troupeau et on prend une chambre à la Caverne. Et adieu tout ça !
• Pourquoi pas ? T’as un cerveau toi ! admira Aérobique.
• Oui, enfin, … à condition qu’ils ne s’aperçoivent pas trop vite de notre disparition, objecta Ovinia.
• On n’a qu’à s’teindre en rousses, répliqua Aérobique.
• T’as raison, nous le valons bien !


Franz Gebrig Bordères

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